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La petite plume blanche

Publié depuis Overblog

29 Novembre 2014 , Rédigé par Lu C-Maïta Publié dans #Poème

Parfois les poètes lisent de la poésie d'autres poètes. Oui quand même parfois on surmonte la peur de se faire influencer et de ne faire que de pâles copies des plus grands, et on lit ce qu'ils ont écrit, parce que c'est beau. Entendons-nous, ce n'est pas parce qu'un poète est connu qu'on trouvera beau ce qu'il a écrit, ou plus beau qu'un autre moins connu. Mais il y a quand même des chances de trouver quelques trésors. Voici donc ma dernière trouvaille. Ce sonnet est extrait des Fleurs du Mal de Baudelaire.

*

Remords posthume
*
Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir
Q'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse ;
*
Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,
Empêchera ton coeur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,
*
Le tombeau, confident de mon rêve infini
(Car le tombeau toujours comprendra le poète),
Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni,
*
Te dira : "Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts ?"
- Et le ver rongera ta peau comme un remords.

*

Les spécialistes et critiques n'ont peut-être pas grand chose à en tirer, ni rien à en dire, et ne voient pas là un chef d'oeuvre. Moi lorsque j'ai lu ce poème, qui est noyé au milieu d'une marée d'autres dans ce recueil, j'ai eu ce frisson spécial et réel qui parcourt l'échine lorsque les sentiments sont touchés. C'est l'expression de l'amertume de ne pas être aimé en retour d'une femme qu'on aime. Deux vers sont à mon sens particulièrment touchants pour la poète que je suis : "(Car le tombeau toujours comprendra le poète)" et "- Et le ver rongera ta peau comme un remords." Le premier parce que je ne sais pour quelle raison je suis d'accord avec, comme si le rapport aux choses était différent sous le regard du poète et que tout objet devenait pensant. Le second parce que le parallèle entre le ver et le remords établit un lien très puissant entre ces deux mots, personnifiant le remords sous la forme d'un ver. Ce remords que le poète voudrait attribuer à sa "belle ténébreuse", on sent que lui-même en est rongé et qu'en écrivant ces mots il voudrait s'en débarrasser en le rejetant à elle. Il ne dort plus et malgré ce qu'il souhaite comme malheur et mort à cette femme, ses paroles à son propos se contredisent comme s'il ne pouvait s'empêcher de l'aimer quand même ("belle" et "charmant" s'opposent à "peureuse" et "imparfaite"). Cette femme trouble le poète plus qu'il ne la trouble lui-même, et on ne peut être certain qu'elle-même sera rongée par le remords. Cette illusion qu'il a de lui-même, cette faiblesse qu'il exprime sont sans doute ce qui rendent ce poème si plein de sensibilité.

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